HISTOIRE DE LA VILLAUMAIRE
et des familles qui l’ont habité
50 ap. JC
La Villa Majoris
Martin Péquineau
Maurice d'Aubéry
Léon Brey
Nicolas Liébault
Le Duc de Mortemart
Abrene
Le Prince de Sant'Eusébio
De la Génèse au XV° siècle :
Très tôt le site, forêt giboyeuse blottie entre trois fleuves (l’Indre, la Loire et la Vienne), a attiré l'homme. Il y est présent dès le Paléolithique, comme en fait foi la découverte d’un atelier lithique situé sur le plateau de La Motte-Beauregard, au nord-est du bourg actuel.
Plus tard ce furent les Turones, une fière peuplade gauloise («Turo» peut se traduire par «forts» ou «hardis»), qui en firent leur territoire. Le village niché dans la vaste et sombre forêt qui couvrait alors la région, portait pour toponyme : «Uxisama» signifiant «le ou la très haut(e) » (probablement l’épithète d'une divinité, locale).
Entre 50 et 52 av. J-C, les légions de Rome investissent la contrée et «Uxisama» fut latinisé en «Oxima», ou encore «Oximensis villae» (les villas d’Oxima). En effet, avec la «Pax Romana» des voies sont tracées autour desquelles éclosent les «villae». Le tronçon de la «Via Vetuta» qui reliait Huismes à Chinon n‘échappe pas à cette tendance et les «villae» surgissent à Huismes : Auzon (Avitiacum), Benais (Benniacum), l’Etui (dans le centre du bourg) le Laré (Larriacum), Rassay (Recciacum), Mouzilly (Musilliacum), Cuzé (Cusiacum)… La «Villa Majoris» (ou le grand domaine), qui deviendra plus tard La Villaumaire, fut vraisemblablement l’une d’elles.
Entre le Ve et le VIe siècle, la décomposition de l'empire romain, permet l'avènement de nouveaux états, et la région devient une "marche" du Royaume franc sous le Roi Clovis 1er destinée à la défense du territoire contre le Royaume des Wisigoths qui s'étend de l'Espagne jusqu'aux rives de la Loire en passant par l'Aquitaine. A cette époque, la «Villa Majoris» aurait été la demeure des gouverneurs du district du Véron pour le compte des Rois Mérovingiens.
Bien plus tard, la décadence des Mérovingiens laisse la main libre à l'appétit des institutions religieuses : les archevêques de Tours deviennent seigneurs de Chinon et vont mener une politique d'expansion. D'ailleurs, au début du Xe siècle, le domaine de Huismes est donné par le Roi Charles le simple au chapitre de l'Église de Tours, donation confirmée en 1157 par le Roi Louis VII. En 1215, l'Archevêque de Tours, Jean de La Faye, confie la justice de la seigneurie de Huismes à un magistrat ecclésiastique portant le titre de "Maire". À cette charge était dévolu l'usage de la «Villa Majoris», laquelle fut donc, un temps, possession de l’Église de Tours.
De la villa gallo-romaine, devenue castrum, comme de ce dernier, on ignore aujourd’hui tant l’aspect que la consistance. Pas plus que l’on ne connait quels en furent les seigneurs entre le XIII° et le XV° siècle, époque à partir de laquelle le domaine apparait entre les mains des Péquineau.
Sources :
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Gustave de Cougny, Chinon et ses environs, 1898,
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C. Chevalier, Promenades pittoresques en Touraine, 1869
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J-X Carré de Busserolle, Dictionnaire géographique, historique et biographique d’Indre et Loire, 1883.
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Du XV° au XVII° siècle
Les Péquineau (également orthographié «Pecquineau» ou «Péguineau») appartiennent à une famille d’ancienne noblesse qui a occupé diverses charges de Chancellerie, notamment sous François 1er. En 1448, Martin Péquineau, Maître de l'Artillerie Royale de Charles VII dont la Cour est basée à Chinon, est le premier en date de cette famille qui soit connu comme "seigneur de La Villaumaire". Au fil des archives, on trouve mention de ses successeurs à ce titre. En 1527 : son petit fils Martin, 2ème du nom, Maître de la Chambre aux deniers d'Anne de Bretagne.
En 1530, la veuve de ce dernier : Renée de Bec de Lièvre. Ensuite, son fils : Nicolas, suivi -en 1571- de sa veuve : Catherine Mesnager, puis de leur propre fils :
François de Péquineau, Gentilhomme de la chambre du Roi, qui avait épousé Marie d’Argouges et, enfin: François II qui succède à son père entre 1620 et 1625 et qui fut le dernier de cette maison à posséder ce fief. Il figure encore comme seigneur de la Villaumaire, à titre de parrain sur un acte de baptême, le 9 avril 1648. Mais, quelques temps plus tard et sans que l’on en connaisse la date précise le domaine passe à la famille d’Aubery, sans doute à la suite d’une cession. Au final, La Villaumaire sera restée, au moins, deux siècles, chez les Péquineau. Et c’est à eux que l’on doit l’édification de l’essentiel du «château neuf» au XV° siècle. Les Péquineau s‘allièrent aux familles de la noblesse locale, notamment à plusieurs reprises, aux Nau, seigneurs de l’Ermitage, possédèrent divers biens sur la commune; tels le manoir de Beaulieu ou le moulin de la Fosse-au-Brun et quoiqu’ils firent souche sous d’autres cieux (une branche fut Maire de Tours et possédait, notamment, le château de Charentais), la branche de Huismes, elle, finira par s’éteindre au XIX° siècle.
C’est également à l’époque des Péquineau que Rabelais mentionne La Villaumaire dans son œuvre. Ainsi, il y conte comment Grandgousier, père de Gargantua, s'allia notamment au seigneur de La Villaumaire pour vaincre Picrochole à la Roche Clermault. Il situe également, près La Villaumaire, la demeure de Raminagrobis, poète et devin, père de la belle Bazoche, à qui Panurge demanda de déchiffrer le mystérieux message de la sibylle de Panzoult.
Sources :
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F. Rabelais, "Gargantua", Chapitre 47 : " Comment Grandgousier manda quérir ses légions"
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F. Rabelais, "Le Tiers Livre", Chapitre XXI : "Comment Panurge prend conseil d’un vieil poète françois nommé Raminagrobis"
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Du XVII° au XIX° siècle :
Au milieu du XVII° s. le château de La Villaumaire devient donc la propriété de Maurice d’Aubéry. Il est le neuvième des dix enfants de Benjamin d'Aubéry. Benjamin procède d’une famille huguenote originaire du Maine et de l'Anjou. Lui-même a été l’un des compagnons de route du roi de Navarre à la bataille de Coutras, en 1588. Il a également été secrétaire de Duplessis-Mornay : le «Pape des huguenots», puis le secrétaire et l'intendant d'Henri de La Tour, vicomte de Turenne et duc de Bouillon, de 1592 à 1606, c’est dire l’attachement de cette famille à la cause réformée. C'est pourquoi, même s’il est un «haut fonctionnaire» français (il sera Conseiller d’Etat de Louis XIII), une fois devenu ambassadeur de France en Hollande, il sera donc dans ce pays, comme un «poisson dans l’eau». C’est donc tout naturellement que son fils Maurice, dont il va être question ici nait aux Pays Bas en septembre 1618.
ll est tenu sur les fonds baptismaux par Maurice de Nassau, prince d’Orange, son parrain, qui lui donne son prénom. Elevé en Hollande, il entreprendra une carrière militaire dans les troupes des princes d’Orange.
Vient-il souvent en France et, ce faisant, réside-t-il fréquemment à Huismes, que ce soit, en ses châteaux de La Villaumaire ou de La Motte au Loup ? Nul ne le sait aujourd’hui. Toujours est-il qu’en 1666, il rend hommage de ses fiefs de Négrons, Boulard situés au Neman, paroisse d’Avoine, et circonvoisines à Louis de Valentinay, seigneur d’Ussé.
Mais, le 11 août 1674, lors de la bataille de Seneffe, il est a la tête de son régiment, en sa qualité de colonel dans les troupes de Guillaume d'Orange, lequel, dispose d'une armée austro-hispano-hollandaise de 60 000 hommes. En face, les français : 45 000 hommes sous les ordres du Prince de Condé. Après cinq semaines de tergiversations durant lesquelles les belligérants s’observent, Guillaume d'Orange engage les hostilités : il prend la route de Paris, forçant les français au combat. Après plus de 10 heures de carnage, les deux armées se retirent, laissant sur le champ de bataille environ 10 000 morts ou blessés du côté français et 15 000 du côté hollandais. Maurice d’Aubéry du Maurier, seigneur de La Villaumaire est au nombre des morts. Il avait 56 ans.
Disparu sans postérité, le Château de La Villaumaire devrait naturellement revenir à son parent le plus proche : son neveu Louis, seigneur du Maurier et de La Fontaine-Danger. Malheureusement, ses biens sont confisqués sur ordre du Roi Louis XIV, le défunt ayant pris les armes contre la France. Louis se voit donc contraint de racheter le domaine. En revanche, le Manoir de la Motte au Loup semble, lui, avoir été abandonné à son sort. Au début du XIXème, il ne restait déjà plus que de rares vestiges du corps de logis, comme de ses dépendances et de sa Fuye… et il n’en reste plus aucune trace de nos jours.
Louis avait épousé le 20 mars 1676, Françoise de Nettancourt Vaubécourt. Mais l’union fut de courte durée, les époux décédants, tout deux, moins de dix ans après leur mariage. Ils laissent trois enfants en bas âge : Anne Jacques Louis, Marie Anne et Charlotte Françoise. C’est leur grand-mère maternelle : Anne de La Marche de Contre, veuve de Louis de Nettancourt, qui devient leur tutrice. Durant toute cette période, la famille ne vient que peu à La Villaumaire qui est affermée. Ainsi, les archives locales nous font connaitre les fermiers généraux qui s'y succèdent : Michel Pelport, Jacques Chauvelin, Yves Baranger, Louis Dupoux, Jean Cheron, Louis Delacroix… dont certains ont encore des descendants sur la commune.
Au tout début du XVIII°s. c’est l’unique fils des défunts, Anne Jacques Louis d’Aubéry, capitaine au régiment de Nettancourt, qui est le propriétaire de La Villaumaire. Il semble que celui-ci ait fixé sa résidence principale en son château du Maurier dans la Sarthe, La Villaumaire n'étant alors, sans doute, qu'une résidence de chasse et de villégiature. Ce n’est qu’avec son fils cadet que la famille résidera à l’année à La Villaumaire. En effet, Anne Jacques Louis avait épousé le 24 novembre 1710 Marguerite Françoise de Vaillant d’Avignon, qui lui a donné deux fils : Jean Louis François né le 25 octobre 1712 et Henry François né le 8 décembre 1716.
Après la mort d'Anne Jacques Louis, sa veuve Marguerite, achète, le 12 avril 1749, la seigneurie de Beugny à sa cousine Marie-Anne-Élisabeth de Beauvau (elle-même veuve de Louis-Paul de Rochechouart, prince de Tonnay-Charente, duc de Mortemart). L‘acquisition du château de Beugny, sis à Saint Benoît la Forêt, distant d’une lieue à peine de Huismes, est destinée à établir son aîné, Jean-Louis-François. Du même coup, La Villaumaire, va au cadet Henry François.
Ce dernier après une carrière militaire (il finira capitaine au régiment de Lusignan), se retirera à la Villaumaire partageant sa vie entre son château et celui de son frère. Chevalier de Malte (les gens du pays le surnommaient «le Chevalier de La Villaumaire»), il n’aura pas de descendance et s’éteindra parmi les siens au Château de Beugny, à l’âge de 74 ans. Il fut inhumé en l’Eglise de Saint Benoit la Forêt le 20 mai 1790.
Son frère ainé Jean-Louis-François l’ayant précédé dans la tombe, La Villaumaire revient à son neveu : Charles-Marie-Jean-Baptiste marquis d’Aubéry, l’ainé d’une fratrie de six enfants. Mais, la famille sera dispersée par la tourmente révolutionnaire. Quant à lui, il émigrera et mourra prématurément en Allemagne. La Villaumaire -elle- sera confisquée (encore !!!) par la toute nouvelle république comme «bien national»…
Il faut, en effet, savoir que la Révolution française avait lourdement aggravé la crise financière par laquelle elle était née. Le 5 mai 1789, à l’ouverture des états généraux, Jacques Necker propose donc l’émission d’un «papier national» destiné au règlement de la dette publique. Mais, le risque de banqueroute est si grand qu’il faut, de toute urgence, trouver de l’argent ; le député Talleyrand (qui a été évêque !) propose de confisquer les biens du clergé (et non pas de les nationaliser car aucune indemnité n’a été versée). C’est ainsi que le 2 novembre 1789, l'Assemblée nationale constituante décide que tous les biens du clergé seront «mis à disposition de la Nation». Devenus «biens nationaux», ils sont vendus aux enchères pour remplir les caisses de l’État. La notion de «bien national» est ensuite étendue aux biens des émigrés et des suspects, qui sont confisqués à partir 30 mars 1792, puis vendus après le décret du 27 juillet1792.
Ainsi, durant la «Terreur», La Villaumaire est mise en vente publique par l’administration du District de Chinon. Le 12 mai 1794, la mère (Aimée de Créquy) et la sœur (Marie Anne Louise d’Aubéry) de «l’émigré», demeurées -elles- en France, se voient donc contraintes de racheter leur propre demeure. Mais, sans pouvoir en jouir. Les archives Municipales de Chinon, Série 1, «police des émigrés» relatent que la mère et la fille, vivent terrées à Chinon et contraintes de répondre à des convocations quasi-quotidiennes en qualité de parents d’émigrés.
A la fin de la révolution, dans les derniers jours qui voient se clore le XVIII° siècle, elles purent enfin recouvrer leur demeure. Après la mort de sa mère, Marie Anne Louise d’Aubéry, dont la famille -nous l’avons vu- possédait le château depuis près de deux siècles, finira par le vendre le 1er octobre 1811, à Armand Paul Gault de la Galmandière.
Sources :
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E. Faucillon, "Notes historiques sur le domaine de La Villaumaire", Bulletin des Amis du Vieux Chinon, T.III, N°1, p. 47 à 56, 1928
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La famille Gault de La Galmandière est originaire d’Armaillé à la frontière du Maine et de la Bretagne, ou elle apparait durablement et essentiellement établie au Theil (fief de Beauchesne) et à Chateaubourg (fief de La Galmandière). Elle appartient à une longue lignée d’avocats et de magistrats dont on remonte la filiation jusqu'à 1450. Déboutée de sa demande de reconnaissance nobiliaire en 1699, puis confirmée dans sa noblesse par arrêt du Parlement de Bretagne le 11.04.1742, c’est avec Pierre Gault de La Galmandière (1723-1807), substitut du Procureur Général de Bretagne, nommé Receveur des Finances à Tours, que la famille met un pied en Touraine.
Son fils Armand-Paul, futur acquéreur de La Villaumaire, est né le 08 mai 1763 en la paroisse Saint-Etienne de Rennes. Très tôt, il se destine à l’Eglise.
Le 18 septembre 1780, âgé de 17 ans, il est reçu «clerc tonsuré», puis Chanoine au Chapitre de Dol en Bretagne. Six ans plus tard, il est ordonné Prêtre. Le 18 septembre 1790, il reçoit en sus du canonicat le bénéfice d’une Maison prébendale, c’est-à-dire qu’outre la demeure d'un dignitaire de l'église, il obtient le privilège de pouvoir lever l'impôt ecclésiastique ou prébende.
Mais, en novembre 1791, comme en mai 1792, des lois particulièrement répressives à destination du clergé sont promulguées. Elles n’augurent rien de bon. En juin 1792 les arrestations de prêtres sur simple dénonciation (comme le prévoit la loi) se multiplient. Les premiers massacres commencent : le 14 juillet, un prêtre est tué à Limoges, neuf dans le Var ; le 15 juillet, deux à Bordeaux… Le 9 août 1792, Armand qui réside à Baguer-Pican, à 5 Km de Dol, déclare à la municipalité qu'il se retire dans sa famille, à Tours. Le lendemain, la monarchie est jetée à bas et la «Terreur» débute. Elle disperse le Chapitre de Dol. La plupart des Chanoines, seront exilés, massacrés ou déportés. Armand Paul entre dans la clandestinité. A ce titre, il est considéré comme un «émigré». Désormais, si on lui met la main dessus, c’est la guillotine qu’il encourt. Les républicains sont déchainés ; partout les églises sont fermées ou transformées en temples de la Raison, de Brutus (!), de Marat (!)…
On brule les livres, les œuvres d'art, on brise les vases sacrés, les ornements du culte sont vandalisés. Les juifs aussi sont molestés. On ferme leurs synagogues. On brule leurs livres sacrés. Le dimanche est supprimé et interdit. Un texte de loi, prévoit même que ceux qui observeront le dimanche seront fichés sur la «Liste des citoyens fainéants et suspects», et menacés de réclusion, ou autre, selon le vœu des Comités de surveillance.
Quand ils ne sont pas condamnés à mort et exécutés, les prêtres sont emprisonnés, ou déportés dans les bagnes de Nouvelle-Calédonie et en Guyane française. Les premières déportations qui ont lieu dès septembre 1792 s’opèrent, souvent, dans des conditions épouvantables. Les déportés sont privés tant de nourriture que de sommeil, ou même de litière. Ainsi, sur les 120 déportés à Cayenne, 119 meurent durant le voyage.
La «Terreur» passée, l’étau se desserre. Les églises rouvrent en mai 1795. Le coup d'État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) accentue ce mouvement, dont l’apex sera le Concordat signé avec le Saint-Siège à Paris le15 juillet 1801. Quelques mois plus tard, le 10 décembre 1801, une lettre du sous-préfet avise la mairie de Dol qu'un arrêté du ministre a rayé Armand-Paul de la liste des émigrés. Il peut reparaitre au grand jour. Ces neuf années l’on changé. Il a 38 ans et n’est plus ce jeune idéaliste pétri de foi. Il a quitté la prêtrise et sous le Directoire, il va officier comme «Commissaire des Guerres». C’est-à-dire que sa mission sera, notamment, d’administrer, au sein des armées la distribution des vivres, du fourrage, du chauffage, de l’habillement et de l ‘équipement des troupes. Le nouveau régime qui marque une rupture avec les désordres de la revolution a également séduit son frère cadet, Benjamin Gault GAULT de la GALMANDIÈRE. Celui-ci suivra un parcours voisin : officier dans l'armée impériale, il finira général, baron d'Empire et mourra à la bataille de Dantzig (son coeur est inhumé dans l'église d'Huismes)
Mais, revenons à Armand-Paul. Désormais de plain pied dans le siècle, il épouse -en 1802 et à Paris- Louise Henriette Adélaïde Castel (1778-1869) qui le suit dans ses affectations militaires. Ainsi, sa fille unique : Zoé Prudence Gault de La Galmandière naîtra le 26 février 1803 à Mayence.
En 1811, il a 48 ans et a rejoint la vie civile : il est Entreposeur des tabacs. En d’autres termes, c’est un fonctionnaire de l’Empire préposé à la garde et à la distribution des tabacs dont l’État a le monopole. Une sorte de grossistes vis-à-vis des débitants. Fonctions qu’il cumule avec celles, voisines, de Receveur Central des contributions indirectes de l’arrondissement de Chinon. C’est à cette époque qu’il fait l’acquisition du château de La Villaumaire. Pendant 15 ans (de 1816 à 1831), il sera Maire de la Commune. Il décèdera, le 28 octobre 1838 à Paris, à l’âge de 75 ans.
Sources :
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Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest Année 1917 32-2 pp. 22
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Delarue, District de Dol, Commune de Dol, 1905.
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Nobiliaire et armorial de Bretagne, Pol Potier de Courcy, 1890
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La Villaumaire fait partie de la dot de sa fille unique Zoé Gault de La Galmandière lorsqu’elle épouse Pierre Louis Levesque des Varannes. Celui-ci est né à Saumur, le 11 mars 1791, dans une famille bourgeoise originaire du Maine. Placé au lycée de Rennes, il quitte cet établissement à l'âge de quatorze ans, pour entrer dans la marine militaire. Reçu au grade d’aspirant de seconde classe en 1806, il parvient successivement à ceux d'aspirant de première classe, et d’enseigne de vaisseau. Dans ces diverses positions, il prend part à plusieurs campagnes. L’effondrement de l’Empire en 1815, dans lequel l’armée tenait un rôle prépondérant, tant dans les emplois que dans les honneurs, vient fermer le brillant avenir réservé à un grand nombre d’officiers, au nombre desquels figure l’enseigne de vaisseau des Varannes. De surcroit, proclamer comme il le fait -cela sous la Restauration- sa nostalgie du défunt Empire, ne sert guère ses intérêts.
C’est pourquoi, il restera complètement oublié dans son grade jusqu’en 1820, année durant laquelle - après quinze années de services- il prend le parti de quitter l’armée.
Pourquoi vient-il fixer sa résidence à Chinon ? Connaissait-il la famille Gault de La Galmandière ? Toujours est-il que quelques mois plus tard, il épouse à Chinon, le 15 janvier 1821, Zoé, la fille d’Armand Paul, propriétaire du Château de La Villaumaire. L’époux a 30 ans, la jeune mariée 18 ans. Selon H. de Lestrées, Pierre Louis des Varannes va alors couler les jours heureux d’un propriétaire terrien. Zoé lui donne trois enfants : Ernest né en 1822, Arthur né en 1823 et enfin -1824- une fille : Louise Claire.
En 1830, à la faveur du changement de régime- ses concitoyens et amis le poussent à présenter sa candidature à la sous-préfecture de Chinon. Ce qu’il fait avec succès : il devient Sous-préfet de ladite ville en août 1830. Deux ans plus tard il reçoit la Légion d’Honneur et en février 1833, il est appelé à la sous-préfecture de Bayonne. Son action tant administrative que politique, notamment entre la France et l’Espagne, lui vaut de recevoir des mains de M. Ferrer, ex— président des Cortes, la croix de Charles III que lui décerne la reine Christine d‘Espagne.
Il semble que Pierre Louis des Varannes ait été doté d’un fort caractère; car quand le ministère de l’intérieur décide de nommer un commissaire-général pour la frontière des Pyrénées -nomination qui l’aurait fait passer du rang de premier magistrat de cet arrondissement à une position subordonnée- il décide de quitter Bayonne, et quelques mois plus tard l’administration.
Il pensait son départ définitif. Mais, c’était sans compter sur le duc Decazes qui vint lui offrir la sous-préfecture de Libourne, avec, en sus, une friandise, à savoir le titre de "Maître des Requêtes au Conseil d’Etat". Il reprend donc du service et après deux ans passés à la Sous-préfecture de Libourne, il reçut du ministre des ordres qui ne s’accordaient point avec ce qu'il croyait loyal et convenable en matière d’élection. En effet, le ministre entendait que sous-préfet exerça son influence au profit d’un candidat plutôt que d’un autre. Pierre Louis offrit de garder une entière neutralité. On voulut davantage; mais il écrivit alors qu’entre sa conscience et sa position il ne balancerait jamais un seul instant. On prit alors un terme moyen, ce fut de le muter à la sous-préfecture d’Autun.
Là encore, après 2 ans dans cette ville, des pressions exercées par le ministère, toujours en matière électorale, le poussèrent à annoncer son départ à ses amis. Il eut le plaisir et l’honneur de voir toutes les sommités de la ville d‘Autun, du conseil municipal à la garde nationale, venir le prier de rester à son poste. Il céda, mais un mois après, il était nommé à la sous-préfecture de Louhans, poste qu’il n’accepta pas.
Nous sommes, alors, en 1839, il se retire à la Villaumaire ou, avec son épouse, ils vont entreprendre une vaste campagne de travaux. Le cadastre napoléonien, dont le relevé à La Villaumaire date de 1837, donne une idée assez précise de l’état antérieur à cette campagne, et par suite, des modifications apportées par le couple.
Si les transformations sont significatives sur le plan décoratif, elles reste mineures sur le plan structurel, contrairement à ce que laissent entendre quelques opuscules qui font état péremptoirement d’un édifice «presque entièrement reconstruit au XIX° siècle». Le principal chantier consiste en l’inversion des façades. Ainsi, la façade principale qui était orientée vers le «nord» en direction du château d'Ussé dont, sous l’ancien régime dépendait féodalement La Villaumaire, va devenir l’arrière du bâtiment. Jusqu’alors, on accédait au château par une grande allée de châtaigniers plantée au XV° siècle. Cette allée (qui existe encore) débouchait sur deux grands pavillons d’entrée, reliée par une grille. Avant la grille, sur la gauche, un ensemble de communs, mal ordonnés, dont une briqueterie, encombrait les abords. Franchit la grille, on se trouvait dans une vaste Cour d’Honneur. La partie droite du château, en pierre de taille, était la partie habitée. La partie gauche, de facture plus récente, en moellons enduits comprenait les parties «techniques» (remises, etc).
La façade «sud», jusqu’alors arrière du château, jugée, mieux exposée, va devenir la façade principale et ce, d‘autant plus que le bâtiment bénéficiant d'une déclivité au sud, se trouve ainsi bien mieux mis en valeur. Du coup, «derrière» le château, les deux ex-pavillons d’entrée et les communs seront rasés. La cour d’honneur est comblée, le niveau du sol surélevé et aplani. La tour de l'horloge est édifiée. «Devant» le château, un nouveau portail d'entrée et une nouvelle voie d’accès est créé. La nouvelle façade est réorganisée par l'ajout des deux tours carrées, de l'escalier d'entrée et d‘une remarquable broderie de pierre de style gothique. Quelques fenêtres, portes et lucarnes sont modifiées et reçoivent - comme les piliers du nouveau portail d’entrée- soit le blason, soit la devise («N'oublye, ne doubte») de la famille des Varannes.
L’aile l’ouest reçoit quelques transformations mineures. L’intérieur du château, quant à lui, est mis au goût du jour par décor de style «troubadour».
Pour autant, Pierre Louis ne délaissa pas les affaires publiques : il fut ainsi Maire de la commune de Huismes de 1843 à 1846. Il s’éteindra au château le 6 février 1868. Zoé lui survivra une dizaine d’années et le rejoint le 4 novembre 1878.
Source :
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contrat de mariage reçu par Me Bernier notaire à chinon le 14 janvier 1821
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Revue générale, biographique, 6eme année, vol 11, tome 2, p165 à 169
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Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest Année 1917 32-2 pp. 22
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Delarue, District de Dol, Commune de Dol, 1905.
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Nobiliaire et armorial de Bretagne, Pol Potier de Courcy, 1890
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A la mort de Zoé, c’est sa petite dernière : Louise Claire Levesque des Varannes qui reprend le Château. Née à Chinon en 1824, elle à 54 ans. Pourquoi - contrairement aux usages de l’époque- n’est-ce pas le fils ainé : Ernest Levesque des Varannes, ancien Sous-préfet, Commandeur de l’Ordre de St Sylvestre qui reprend ?
La réponse, nous en est donnée par le testament olographe de la défunte, en date du 2 mars 1876 : Ernest, qui vit, alors en Italie, a mené grand train et se révèle débiteur envers sa mère de plus de la moitié de la valeur du domaine, ce qui -concrètement- l’exclu de la reprise. En clair, il a touché sa part d’héritage avant l’heure. Quant au fils puîné : Arthur Levesque des Varannes, Chevalier de l’Ordre de St Grégoire le Grand, il est mort quelques mois avant sa mère. Et si Arthur a bien un fils Louis, qui a alors 24 ans. Ce dernier ne semble pas avoir été associé, de près ou de ou de loin à la vie du château.
ll vient de débuter une carrière «fiscale», comme percepteur dans la Sarthe; (carrière qui s’achèvera avec son départ en retraite le 10 février 1914 au grade honoraire de Trésorier Payeur Général. Il décèdera le 20 décembre 1938 à Dollus, Ile d’Oléron)...
Louise Claire avait épousé, en 1842, Théodore Eugène Bois, négociant à Châteaulin dans le Finistère. Celui-ci, âgé de 29 ans, est issu d’une famille nombreuse, mais aisée, (son père est le Maire de la commune et son oncle, le président du Tribunal).
La Villaumaire, dont Louise-Claire héritera 39 ans plus tard, devient vite le centre de gravité du jeune couple. Ainsi, si leur fille : Irène est née à Paris (le 11 février 1848), leur fils : Louis Daniel, nait -un an plus tard- au château. Et si à Châteaulin, Théodore marche sur les brisées politiques de son père, (il est élu député de la majorité de la 4° circonscription du Finistère de 1852 jusqu’à sa mort), c’est sur le hameau de Mouzilly, jouxtant La Villaumaire, qu’il s’enracine. Il sera d’ailleurs le Maire de la commune de Huismes de 1855 jusqu’à sa mort... Une terre dont il finira par prendre le nom. Ainsi, en 1861, il est autorisé par Décret de Napoléon III à joindre à son patronyme, la particule et le nom de terre de «de Mouzilly». Il s’éteint prématurément, en 1864, à l’âge de 51 ans.
C’est une jeune veuve, de 40 ans que laisse le défunt. Louise Claire ne se remariera que 15 ans plus tard, le 27 mars 1879, avec Joseph Paul Henri Bernard d‘Honorat. Malheureusement, elle s’éteindra à son tour, aussi précocement que son premier époux, le 5 septembre 1881, à peine deux ans après son remariage et à peine 3 ans après avoir hérité de La Villaumaire. Elle a alors 57 ans !
Théodore Eugène Bois de Mouzilly
Source :
c) la copie notariée en date du 9 novembre 1878 est encore conservé dans les archives de La Villaumaire)
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Les formalités relatives à l’héritage de Zoé à peine closes (elles le furent courant 1880), il fallu se replonger dans la douleur et les tracasseries d’une nouvelle succession : celle de Louis Claire Bois de Mouzilly qui laissait trois héritiers :
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- son second époux, Joseph Paul Henri Bernard d‘Honorat,
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- sa fille Irène Jeanne Bois de Mouzilly,
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- son fils Louis Daniel Bois de Mouzilly.
Les chicaneries inventoriales entre l’époux veuf et les enfants de Zoé conduisent l’affaire au Tribunal qui ordonne l‘adjudication, laquelle a lieu le dimanche 14 mai 1882 à Midi. Et c’est Irène et son époux qui récupèrent le domaine familial de La Villaumaire et son parc, le reste, terres et fermes circonvoisines, étant acquis par des opportuns venus à la curée.
Qui sont les nouveaux propriétaires ? (si l’on ose dire, puisque le domaine se transmet par les femmes depuis 71 ans). Irène a épousé le 22 septembre 1869 à Paris : Léon Auguste Brey. Ayant étudié aux Beaux arts (1860-1863) et se destinant à devenir architecte, celui-ci a été l’assistant de son père, architecte lui-même, et d'Émile Vaudremer pour les travaux d'agrandissement de l'église Saint-Ferdinand des Ternes. Il s’installe à son tour dans la profession en 1875. En 1882, c’est donc un jeune couple qui prend en charge la destiné du château : Irène à 34 ans et Léon 41 ans. Ils se partagent entre leur adresse parisienne (71 av de Wagram) et La Villaumaire. Léon exerce, d’ailleurs, autant à Paris qu’en Indre et Loire et environs ou il intervient sur divers châteaux et chapelles.
Léon Auguste Brey
On lui doit, notamment, la construction vers 1890 d’une nouvelle chapelle au château de La Poupardière, à Saint Martin La Place, près de Saumur, des travaux sur le château de Valmer (détruit bien plus tard par un incendie). A Paris, il a construit des hôtels particuliers (par exemple le 19, rue de l’Université), des immeubles de rapport, des ateliers d’artistes (notamment au 23, rue Laugier), des magasins et des boutiques. Fait intéressant, il expose au Salon de la Société des artistes français à Paris en 1885, un projet de hall et de bibliothèque pour le château de la Villaumaire, dont on ignore aujourd’hui, s’il s’agit bien de la bibliothèque et du hall qui est attribué de nos jours à un propriétaire ultérieur.
Et Louis Daniel ? Car, nous l’avons vu, Irène a un frère... Bien que dûment convié, il n'était pas présent lors de l'adjudication... Et s'il l'avait été, il eut été bien en peine de se porter acquéreur car, il a brulé la chandelle par les deux bouts.
L’on sait peu de chose de lui : il a 24 ans quand il se marie, 27 ans quand son fils unique nait, 37 ans quand il rédige son testament et 48 ans lorsqu’il décède. Il a épousé, en 1873 à New York, une américaine : Kate Louise Parks qui lui donne un fils, lequel nait à La Villaumaire le 6 août 1874. On attribue au nouveau né le prénom de Joseph, auquel on adjoint -à titre de concession aux mânes maternels américains- le deuxième prénom, de «Harker».
Le jeune Joseph perd son père précocement en 1897. La même année, Kate, sa mère, se remarie avec M Léon Urbain François de Poilloue de Saint Mars, Maire d’Encheville dans le Loiret, qui l’adopte dans la foulée. Joseph a alors 23 ans et répond désormais au patronyme exotique de : Joseph Harker Bois de Mouzilly de Poilloue de Saint Mars. Quoiqu’il ne préside pas aux destinées de La Villaumaire, le lecteur voudra bien nous pardonner cette digression à son sujet liée à l’anecdote qui suit.
En effet, Joseph Harker qui a épousé une anglaise (May Elizabeth Wesley Hall) s’installe à Londres (6 Spanish Place). Passionné de mécanique, il intègre en 1903, lors de sa création l’ACU (Auto-Cycle Club), premier club motocycliste au monde. De son côté, en septembre 1904, le Motocycle-Club de France organise la Coupe Internationale à Dourdan, au sud-ouest de Paris. Y participe l'Autriche, le Danemark, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et bien sûr la France qui gagne la course. A l’occasion de cet événement, qui suscite des dissensions parmi les organisateurs, il devient évident qu'une autorité sportive s’avère nécessaire pour régler les litiges résultants de ces courses internationales. En décembre, les clubs motocyclistes de ces 5 pays se réunissent à Paris et créent la «Fédération internationale des clubs motocyclistes».
Les débuts de la nouvelle fédération sont difficultueux, les anglais estiment avoir été floués lors du premier Trophée International (1904) qui, selon eux aurait dû se dérouler sur le sol britannique vu l’antériorité et le poids de leur club au sein de la nouvelle organisation. Ils participent néanmoins au deuxième trophée qui se déroule, en 1905 -de nouveau- en France, mais ils entendent peser dans les décisions. Joseph qui présente l’avantage d’être du club anglais, tout en étant français, est le candidat «anglais» idéal à l’élection présidentielle qui se déroule en décembre de la même année et il y est, d‘ailleurs, élu. Pour autant, le trophée 1906 se déroule à Patzau, en Bohème, le club autrichien jouant à domicile. L’exécration des anglais est alors à son comble.
1912: les délégués présents à l'Olympia de Londres, lors du "redémarrage" de la FICM. Première rangée au centre: Sir Arthur Stanley, président de la FICM (avec la canne), à sa droite joseph Harker Bois de Mouzilly-Saint Mars.
Sous l’impulsion de Joseph, qui veut éviter l’implosion de la toute jeune fédération, des pourparlers ont lieu pour organiser le Trophée suivant sur l'île autonome de Man, qui n'étant pas soumise au code de la route britannique est à même de recevoir la compétition. Finalement les pourparlers achoppent et les délégués des pays participants envisagent de dissoudre la FICM, qui reste en sommeil les cinq années suivantes. Joseph avec l’appui de quelques autres se bat alors pour rapprocher les différentes parties et réactiver la Fédération. Et ses efforts finissent par payer, en 1912, la FICM reprend vie. Joseph est nommé «Patron» (Président d’Honneur) en reconnaissance des services rendus et le nouveau président exécutif est un député britannique : Sir Arthur Stanley. Le siège s‘installe à Londres, les britanniques exultent. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la FICM comptait 30 membres affiliés. En 1936, la première finale mondiale du Speedway a eu lieu au stade de Wembley. Il s'agissait du premier championnat du monde officiel et le premier titre de champion du monde a été remporté par le pilote australien Lionel van Praag. En 1949, la FICM devient la «Fédération Internationale Motocycliste» (FIM) et cette même année voit naître la compétition de motocyclisme la plus prestigieuse au monde: le Grand Prix du Championnat du Monde de Course sur Route. Mais cela, Joseph Harker Bois de Mouzilly Saint-Mars ne le verra pas, il décède à Pasadena (USA) le 25 février 1942, il a 66 ans.
C’est ainsi que, par la bande, La Villaumaire se trouve associée au Motocyclisme mondial. Aujourd’hui, un trophée porte le nom de Joseph Harker.
Pour en revenir à Léon BREY et son épouse Irène Bois de Mouzilly, on ignore aujourd’hui ce qui les poussa à se séparer en avril et mai 1903, tant du château de La Villaumaire, que du manoir de Contebault qu’ils avaient acquis en mars 1883 sur la même commune… Cela, alors qu’ils avaient trois enfants… donc autant de successeurs. Toujours est il que Léon décèdera à peine un an plus tard, le 16 juin 1904.
Sources :
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Archives nationales de France, AJ/52/357, dossier d'élève;
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Notice nécrologique dans La Construction moderne, 30 juillet 1904, p. 528; Delaire; Dugast et Parizet)
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Ruth Fiori, dépouillement du bulletin de la Société des Amis des monuments parisiens en vue d'une thèse d'histoire de l'art (Université de Paris I, 2009), https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6532569k/f167.item
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Du XX° au XXI° siècle
Le nouveau propriétaire qui inaugure l’entrée de La Villaumaire dans le XX° siècle est Arthur Nicolas Liébault. C’est un centralien de la promotion 1864, ingénieur et administrateur qui va présider des sociétés qui deviendront, plus tard des fleurons de l‘industrie française. Tel est le cas de la CEM (Compagnie Electro-Mécanique), une entreprise qui emploiera jusqu’à 11.000 salariés dont 1000 ingénieurs (les turbines du paquebot «France» seront produites par la CEM) et qui finira absorbée par ALSTHOM. Ou encore, la Société des Forges et Fonderies de Montataire, qui deviendra USINOR, puis SOLLAC, ensuite ARCELOR et enfin ARCELOR-MITTAL.
Evidemment, en qualité d’industriel de «haut-vol», il siégeait dans tout ce que l’industrie pouvait produire d’institutions parapubliques; Président de la chambre syndicale des mécaniciens de Paris, Membre des Conseils d’administration d’écoles comme le Conservatoire des Arts et Métiers, jusqu’au jury des récompenses et à la Vice Présidence des comités d'admission et d'installation des Expositions universelles de 1878 et de 1889.
La Villaumaire est alors la villégiature de la famille. Une demeure ou se concocte pactes industriels et autres «joint-ventures» lors d’un week-end à la campagne, agrémenté de parties de chasse et de fastueux dîners. Arthur Nicolas Liébault, laisse -lui aussi- sa trace à la Villaumaire en faisant édifier les deux extensions en pierres de taille de la façade "ouest". Il aurait également fait bâtir la tour au lieu-dit «la Croix Rouge» qui faisait alors partie du domaine et planter l’allée de cèdres qui se trouve face à l’entrée «Sud» du domaine
Il décède à Paris, le 25 mars 1916. Son épouse, Cécile Liébault née Tricotel, le suit dans la tombe, trois semaines plus tard, le 18 mai 1916. Le château revient à son fils, Robert Charles Liébaut qui décède à son tour le 7 mars 1919. Sa veuve Marie Dutheil parvient à conserver la propriété encore 4 années. Mais, le 17 novembre 1923, elle fait procéder à la vente sur licitation par le Tribunal de la Seine. La mise à prix est de 725.000 francs (Arthur l‘avait acquis 20 ans plus tôt pour la somme de 115.000 francs). L‘adjudicataire est Charlotte, Cécile Eglé Valentine, princesse de la Trémoïlle, veuve du vicomte de Larochefoucauld.
Sources :
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http://archives-histoire.centraliens.net/pdfs/annuaire88.pdf
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Le Génie Civil. Revue générale des industries françaises et étrangères, 1916, n° 175, 15 avril 1916, pp. 254
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Avec Charlotte de La Trémoïlle, La Villaumaire renoue avec le «Grand Siècle». Charlotte appartient en effet à une illustre Maison d'extraction féodale. Elle est la fille de Louis-Charles, duc de La Trémoïlle, duc de Thouars, prince de Talmont et comte de Laval, accessoirement historien, membre de l'Académie des inscriptions & belles-lettres et fondateur/président du Polo de Paris. Sa mère est Marguerite-Églé-Jeanne-Caroline Duchâtel, fille du comte Duchâtel, ministre de Louis-Philippe.
Née le 19 octobre 1864, elle a donc la soixantaine quand elle se lance, seule, dans l’achat en novembre 1923, puis la rénovation, du château de La Villaumaire. Sa détermination force l’admiration (comme quoi, suivant l‘adage, «bon sang ne saurait mentir»). Elle va, en effet, entreprendre une campagne de travaux considérable en restructurant complètement, nous le verrons ci-après, l’intérieur du château. Pourtant, sa vie n’a été jusqu’alors qu’une succession de tragédies...
Quarante ans auparavant, le 19 octobre 1885, jour de son vingt et unième anniversaire, Charlotte avait épousé à Paris, un jeune homme de 22 ans issue d’une des meilleures familles de la noblesse française : Charles (Marie François) de La Rochefoucauld. Neuf mois plus tard, (9 août 1886) leur fille unique naissait : Marguerite (Françoise Marie) de La Rochefoucauld. Si le couple n’aura pas la joie d’avoir d’autres enfants, quelques années plus tard, Marguerite se verra, au moins, promise au meilleur mariage qui soit. En effet, elle se fiance en 1906 avec François (Marie Joseph Laurent Victurnien) de Rochechouart de Mortemart, Prince de Tonnay Charente, Marquis de Rochechouart. Mais les jours heureux vont être de courte durée, son père, Charles, malade décède le 25 février 1907, à l'âge de 43 ans. Le mariage planifié de longue date a tout de même lieu et se déroule 4 mois seulement après ce décès, le 2 juillet 1907. Et l’on augure qu’il ne dû pas être d’une grande gaîté…
Charles Marie François vicomte de
La Rochefoucauld, né le 7 mai 1863 est autorisé le 20 janvier 1892 par le roi Alphonse XIII d'Espagne à transférer
la grandesse d'Espagne accolée au titre de duc de Doudeauville sur le titre espagnol
de duc d'Estrées
Mais, la série noire ne fait que commencer, si le jeune couple a eu deux beaux garçons Charles (Marie Louis Arthur Victurnien) en 1908, titré Prince de Tonnay-Charente et Louis-Victor (Marie François Victurnien), en 1909, titré Duc de Vivonne, 7 ans à peine après ce mariage, la première guerre mondiale éclate. François à 33 ans et se porte volontaire. Il laisse derrière lui son épouse de 28 ans et ses deux garçons de 6 et 5 ans. Il est affecté, comme sous-lieutenant au 7ème chasseur. Mais, se démène pour devenir pilote. Il faut dire que l’aviation naissante est alors auréolée d’une aura chevaleresque. Il devient donc lieutenant pilote dans l’escadrille S.P.A. 23 et, malheureusement, comme beaucoup d’autres, tombe au combat le 16 mars 1918. Son avion de chasse, un Spad XIII, s’écrase à Consenvoye (Meuse) au nord de Verdun. Il est inhumé sur le lieu même de l'accident, en bordure de la D964 entre Dun-sur-Meuse et Liny-devant-Dun (Meuse); Son épouse et ses enfants lui érigent une émouvante sépulture (accessible au public), dans le petit bois ou le défunt à rendu son dernier soupir. La stèle existe toujours de nos jours.
Marguerite de la Rochefoucauld, jeune veuve, va trouver le réconfort auprès d’un proche de la famille : Alain Gabriel de Kergariou, lui-même veuf d’Anne de Rochechouart de Mortemart, une cousine de François, qui est morte quelques mois plus tôt à l'âge de 24 ans. Leur deuil respectif les rapproche et elle l’épouse l’année suivante (le 1er octobre 1919). Alain de Kergariou à 36 ans, il est député d'Ille et Villaine, Maire de La Gouesnière et sa famille a longtemps possédé le Château de Bonaban, ou il est d’ailleurs né. Mais, ce second mariage est, encore de plus courte durée que le précédent… puisque 11 mois plus tard Alain de Kergariou succombe à un accident d’automobile près de Fontainebleau (le 29 mai 1920).
Deux ans plus tard (le 24 août 1922), elle épouse à La Gouesnière, Henri Dufresne 3e comte de Saint-Léon. C’est un ami intime de son défunt mari, il a d’ailleurs repris le château de Bonaban. Il est, lui aussi (décidément !), veuf depuis à peine plus d’un an de Bathilde Suchet d'Albuféra, la fille du 3ème duc d'Albuféra… Mais cette nouvelle union est peuplée de trop de fantômes : ils divorcent le 5 janvier 1925.
François de Rochechouart de Mortemart,
Prince de Tonnay Charente,
Marquis de Rochechouart.
Ainsi lorsque Charlotte de La Trémoïlle, vicomtesse de La Rochefoucault, duchesse d’Estrées, achète le château de La Villaumaire, elle a donc déjà perdu son mari, ces deux beau-fils et comme ci cela ne suffisait pas, elle perdra sa fille Marguerite (le 14 mars 1929) pendant la campagne de travaux qu’elle vient d’entreprendre.
Le 23 mai 1929, deux mois après la mort de sa fille, Charlotte fait donation à son deuxième petit fils Louis Victor, cela sous réserve d’usufruit sa vie durant, du domaine et du château de La Villaumaire qu’elle a considérablement agrandi par l’acquisition le 18 février 1924 du manoir de Rassay et le 10 février 1926 du manoir de La Haute Salverte. Là encore, elle aura la douleur d’enterrer son héritier : Louis Victor décède en effet en 1938.
Puis survient la seconde guerre mondiale, en juin 1940 le Gouvernement français en fuite se replie en Touraine, le Président du Conseil : Paul REYNAUD séjourne quelques jours au Château de la Villaumaire, avant de partir sur Bordeaux, ses ministres investissant les châteaux des environs. Plus tard, comme bien d'autres, le Château sera occupé par les allemands.
Le 17 juin 1941, Charlotte fait son testament elle lègue l’intégralité de ces biens à son petit fils Charles de Mortemart et aux enfants du défunt frère de ce dernier. Charlotte décède, à son tour, le 20 août 1944 à l'âge de 79 ans. Selon ses dernieres volontés, elle est inhumée dans la chapelle funéraire des princes et ducs de La Trémoïlle à Thouars.
Sur le plan des travaux, Charlotte ne touche rien aux façades du château. De même, son intervention sur les extérieurs reste faible et se limite à quelques restaurations à l’identique et à la pose du puits à son chiffre. C’est sur les intérieurs qu’elle va axer ses efforts. Ainsi quand elle prend possession du bâtiment, seule la moitié ouest du château, nous l’avons déjà dit, est habitable. La partie «est» est composée de greniers, remises… bref de pièces utilitaires restées dans «leur jus» et inhabitables en l’état. Quant à la partie habitable, elle avait été remaniée par la famille des Varannes en une foultitude de petites pièces, obscurcies par les boiseries en «pli de serviette», décors moyenâgeux idéalisés, chers au XIXe s. qui avaient, alors, envahi la plupart des châteaux de la Loire. Charlotte va s’efforcer d’y restituer les volumes des XVIIe et XVIIIe s., et au besoin, de les réinventer. Elle va également aménager complètement la partie «utilitaires» en y créant chambres de Maîtres et chambres de domestiques. L’inventaire après décès permet, aujourd’hui, de connaitre l’affectation de ces pièces, leurs couleurs comme l’ameublement dont elles disposaient. Elle va aussi patiemment le meubler avec beaucoup de goût et de sagacité. Périodiquement des marchands d’arts parisiens viennent de Paris, jusqu’au château pour lui proposer leurs meilleurs trouvailles si bien qu’à la fin de sa vie Charlotte vit dans un véritable musée.
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Est-il nécessaire de présenter les Rochechouart de Mortemart ? Branche cadette de l’antique Maison de Rochechouart faisant remonter sa filiation à l'an 980. Elle est considérée comme la famille de la noblesse française subsistante la plus ancienne de France après les Capétiens. Et c’est elle qui pendant une décennie (car la succession de Charlotte ne sera définitivement close qu’en février 1949, soit près de 5 ans après son décès), va présider à la destinée de La Villaumaire. Nous l’avons vu, le château échoit à Charles de Rochechouart de Mortemart, 15e duc de Mortemart, prince de Tonnay-Charente, ingénieur agronome, ainsi qu’à sa belle sœur : Solange d’Harcourt et à ses enfants. La famille ne vient que très épisodiquement à La Villaumaire, Il faut dire que le duc a d’autres châteaux dans sa besace, notamment le château du Réveillon à Entrains-sur-Nohain (58) aux portes du Morvan. Quant à Solange d’Harcourt, la veuve de Louis Victor, elle a refait sa vie et se partage entre la France et l’Amérique du Sud. La Villaumaire sombre lentement dans la solitude et devient vite une charge sans grandes contreparties.
Les propriétaires décident donc de vendre. Ils s’en repartissent le contenu. Et c'’est ainsi qu’une grande partie de la collection de meubles et d’objets précieux amassés par Charlotte de La Tremouïlle va prendre la route du Château du Réveillon.
Et une bonne part de cette collection ressurgira au grand jour, le 11 février 2015, lors de la vente aux enchères organisée par Sotheby’s, à la demande du 17eme duc de Mortemart.
Cela va du service en cristal aux armes des La Rochefoucauld (adjugé 16.250 €) en passant par les figurines en porcelaine que Charlotte appréciait et qu’elle avait amassé par centaines dans les vitrines du château, jusqu’au somptueux bureau à cylindre, en placage de sycomore, plaques de tôle peintes et bronzes dorés d'époque Louis XVI (adjugé à 351.000 €), accompagné de sa commode à encoignures, de même facture (adjugé à 237.000 €), le tout attribué à Claude-Charles Saunier, et qui ornait, en son temps, le salon vert de La Villaumaire.
En 1959, le domaine est vendu… à l’exception de la tour de la Croix Rouge qui est conservé par la famille puisqu’y réside toujours la veuve du chauffeur de Charlotte. Elle y restera, aux frais de la famille, jusqu’à sa mort en 1997 (comme quoi avec de tels employeurs point n’était besoin de sécurité sociale).
Le nouvel acquéreur est une caisse sociale : l’URSS Minières du Nord.
Charles de Rochechouart de Mortemart, lui, périra dans un crash aérien au Maroc, 2 ans plus tard en 1961.
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Les 7 plaies d’Egypte ; de 1959 à 1997
Pour la première fois de son histoire, le propriétaire du château allait être une personne morale… Qui est donc le nouvel acquéreur ? Pour faire simple, nous dirons que l'Union Régionale des Sociétés de Secours des «Minières du Nord», basée à Lens dans le Nord Pas de Calais, est une Caisse gérant le régime social des mineurs de fonds. En effet, dès le tout début du XIX° siècle des Caisses de Secours s’étaient constituées, face aux vicissitudes de l’exploitation minière. Privées au départ, elles seront progressivement étatisées. C’est en 1936, dans la mouvance du Front Populaire, avec quelques retouches en 1946, au sortir de la seconde guerre mondiale, que l’URSS Minières du Nord prendra la forme qu’elle aura quand elle achète, en 1959, La Villaumaire.
Si sur le plan humain, l’objectif de cette acquisition, est des plus louable = permettre aux enfants des corons de jouir du plein air en Touraine, qui plus est, dans un lieu d’exception. En revanche, sur le plan du patrimoine historique, c’est un désastre ! Et il ne pouvait en être autrement ! A l’évidence, une personne morale, quel qu’elle soit, poursuit un but propre, dans lequel, l’intérêt historique, architecturale, artistique, voire touristique…, n’est que le cadet de ses soucis ! Ce qu’a acheté le nouvel acquéreur, ce n’est pas un petit bout de l’histoire de France, aussi modeste soit il… ce sont des mètres carrés rendus «bon marché» par le volume acquis ! Au demeurant, le vandalisme patrimonial eut, sans aucun doute, été le même, si une usine de boulons, ou une mairie, avait pris possession des lieux. La notion de patrimoine immémorial à léguer aux générations futures se serait noyée aussitôt dans les eaux glacées du calcul égoïste. Aussi, le béton va couler à flot, les baraquements vont pousser dans le parc comme des champignons dans la douceur de l’automne naissant. Le château, va prendre des allures de casernement. Les salons sont subdivisés en chambrées… Un château réclame de coûteux et incessants travaux ? Qu’à cela ne tienne, l’URSSMN, les exécute sans rechigner… Mais en simplifiant le bâtiment : une cheminée, un pinacle, un clocheton deviennent instables : on les supprime purement et simplement… Un vitrail vient à fléchir, on le remplace par une vitre. Un décor défraichi ? Le voici ripoliné ! Une antichambre entièrement marouflée d’une toile du XVIIème siècle, représentant des aristocrates du «Grand Siècle» s’égayant dans le parc d’un château est ainsi consciencieusement revêtu de 3 couches de peinture glycérophtalique, de ce gris «armée» connu de tous les appelés du contingent (un gris bleuté sinistre qui résulte de l‘adjonction d‘un noir et d‘un blanc purs). Partout dans le château des boiseries, des décors subtils, de délicates moulures sont arrachés au profit de plaques de ciment, jugées plus sûrs en termes d’incendie. A ce rythme, quelques années de plus, et le château se fut résumé à un hangar ! Dieu merci, oserait-on dire, la conjonction de plusieurs facteurs va mettre fin à ce remodelage du bâtiment… Les «trente glorieuses» ont changé le Pays : le mineur à désormais un véhicule et un niveau de vie qui lui permettent, enfin, de partir en vacances avec ses enfants… La «colonie de vacances» perd de son attrait. Parallèlement, la fermeture des puits, avec la réduction concomitante du nombre des mineurs (et donc des cotisants) réduit comme peau de chagrin les budgets. Tant et si bien, qu’au début des années 1980, La Villaumaire n’est plus qu’une charge dont il faut se débarrasser. Désaffecté pendant quelques années, le domaine est finalement vendu à la bougie le 16 juin 1987. Quatre années plus tard, la fosse 9/9 bis d'Oignies, dernier puits d’extraction charbonnière dans le Nord-Pas-de-Calais, cessait définitivement toute exploitation.
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Le repreneur, dont il va être question, est encore une personne morale… Il s’agit d’une association de transfuges lettons, intitulée «Institut Lettone ABRENE», constituée le 24 mars pour les besoins de cette acquisition et déclarée le 15 avril 1987. ABRENE est née dans la mouvance de la LAF (L'Association Lettone de France enregistrée à Paris le 10 juillet 1947). Cette dernière s’était constituée, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, pour venir en aide à la diaspora lettone ayant fuit l’invasion de leur pays par l’URSS. Il faut dire que près de 30% de la population du pays avait été décimée par la guerre et qu’entre 1946 et 1953, encore 125.000 personnes avaient été déportées par les russes. On comprend donc que plus de 170.000 lettons aient choisi de fuir leur pays. Mais, avec la Perestroïka initiée par Gorbatchev à partir d’avril 1985, l’espoir d’une Lettonie libre et indépendante agite la diaspora. Des membres du conseil d'administration de la LAF, associés aux représentants d’autres associations lettones de part le monde décident donc de la création d’ABRENE. Cette dénomination sociale est déjà, en soi, un programme politique. Abrene est en effet une région de Lettonie disputée à l’ex URSS (et aujourd’hui à la Russie). On bat donc le rappel et un millier de lettons du monde entier, apporte sa contribution à l’achat du domaine. Mais le compte n’y est pas ! L’association arrive à arracher au vendeur un paiement en 3 versements : un tiers au jour de l’adjudication, le tiers suivant : un an après, le dernier tiers 2 ans plus tard. Cette dette va peser lourd sur le devenir de l’association. Par ailleurs, si celle-ci affiche une vitrine culturelle - elle organise, ainsi, quelques concerts et manifestations folkloriques- l’objectif reste la promotion d’une Lettonie libre, indépendante et démocratique. D’ailleurs, à partir de mai 1989, se réunissent au château tant le Front Populaire de Lettonie (un parti politique créé afin d'obtenir l'indépendance de la Lettonie) que le PBLA (la Fédération mondiale des Lettons libres basée à Washington). Mais le ver est dans le fruit ! A l’impécuniosité systémique d’ABRENE, s’ajoute le fait que la diaspora n’est lettone que sur le papier… La plupart des membres sont en fait des américains, des allemands, des anglais, des suédois, des canadiens, des australiens, etc qui ne sont lettons que pour être fils ou fille (voir petit fils ou petites filles) de transfuges. Dans ce «melting pot» culturel les dissensions vont vite devenir endémiques. Tout cela va se purger en d’interminables procédures judiciaires, à telle enseigne, qu’en juillet 1992, le Tribunal de Tours va se trouver contraint de nommer un administrateur provisoire. A cela s’ajoute que la proclamation en mai 1990 de l’indépendance de la Lettonie, suivie en 1991 de sa prise d’effet effective à la suite de l’effondrement de l’URSS, va priver ABRENE de sa raison d’être… Dès lors, beaucoup de membres, peu au fait du droit associatif français (c‘est le moins que l‘on puisse dire) et qui, de ce fait, estiment avoir investis en multipropriété, exigent la restitution de leurs «apports». Finalement le 9 décembre 1994, en assemblée générale les membres décident de vendre…. Laquelle surviendra, après bien d’autres tribulations, en janvier 1997.
Les 10 années «d’occupation» lettone, outre qu’elle laissait sur la place, un passif de plus de deux millions de francs (une somme à l’époque), vont compter parmi les années les plus noires du monument. L’entretien est, faute de moyens, inexistant… on paie les rares fournisseurs en coupe de bois pillées dans le parc, lequel est abandonné à la friche… puis rapidement le bâtiment est livré à lui-même… ouvert à tous les vents, il est la proie de tout ce qu’un monument en déshérence peut attirer comme prédateurs : cela va du braconnier qui arrache des volets pour se constituer un affut dans les arbres, à l’Urbexeur peu scrupuleux qui emporte un souvenir du château, jusqu‘au pillard de grand chemin qui vient en équipe et repart en camion… Ainsi, 11 cheminées, des portes, des fenêtres, des vitraux… jusqu’aux pinacles et clochetons ont été arrachés au château et emportés. L’incurie du propriétaire est telle qu’il pousse le vandalisme jusqu'à débaptiser La Villaumaire de sa dénomination multiséculaire pour lui donner la dénomination hétérogène de "Château Abrène".
Ainsi, en moins de 40 ans, le Château de La Villaumaire qui avait survécu à près d'un millénaire d'histoire agitée se trouve réduit au rang d'épave historique.
Sources :
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La Villaumaire ne pouvait pas mieux tomber en s’abandonnant entre les mains de ce nouvel acquéreur ! Et c’est sous les meilleurs auspices qu’elle entre dans un nouveau siècle. En effet, le nouveau propriétaire : Bruno comte Vitali, 5ème prince de Sant’Eusebio, est issu d’une famille de bâtisseurs qui a déjà à son actif le sauvetage de nombreux monuments. Mais qui donc est le nouveau venu ?
Il appartient à une antique famille de la noblesse vénitienne établie dans la lagune en l’an 800 et dont - grâce au « Libro d’Oro »- on peut suivre la filiation jusqu’à Ugo Vitali (Olim. Vidali) vivant au XI°s. Celle-ci donna à la Sérénissime République de Venise des procurateurs de Saint Marc, des ambassadeurs, des magistrats au Tribunal suprême de la Quarantia, etc).
En 1572, le Gouvernement de la Sérénissime République de Venise, voulant récompenser Lorenzo Vitali qui s'était distingué dans la guerre contre les Turcs - lui accorda fiefs et titres dans l'île, alors vénitienne, de Zante. Ce transfert dans les îles ioniennes (cette famille fût inscrite au Livre d'Or de la noblesse de Zante en 1574) ne fût pas sans conséquence sur les évènements qui suivirent. Ainsi, lors de l'effondrement de la République de Venise, en 1797, les Vitali s’impliquèrent-ils dans la guerre d'indépendance grecque. En 1803, Ser Giovanni Vitali (noble de Zante), fût l'un des quatre premiers Sénateurs représentant l'île de Zante à l'assemblée constituante de la République aristocratique des "Sept Iles". Il avait épousé Elena Condostavlo (famille inscrite au Livre d'Or de la noblesse de Zante en 1578) dont il eut deux fils : Giorgio, né à Zante (1777), mort à Paris (1854) et Spiro qui deviendront les principaux acteurs du «parti français» visant à établir sur le trône de Grèce, le duc de Nemours, fils du duc d’Orléans, lui-même futur Roi des Français (Louis-Philippe Ier). L'avènement, en 1832, d’un prince de la Maison de Bavière (Othon Ier) sur le trône de Grèce, mit fin à leur action politique.
Devenu proche du Monarque français, Giorgio s’installera alors en France ou il fera souche. Dès lors, ses descendants n’auront de cesse que de sauver palais, châteaux ou églises, tels notamment : le Palais Vidoni Caffarelli à Rome, l’Hôtel de Gunzburg (dit Hôtel Vitali) à Paris, le Château de Vigny, dans le Vexin français, le Château de Ham-sur-Heure, en Belgique, la Villa Fiorentina à Cannes, la Villa Léopolda, à Villefranche sur Mer, la Villa Fiorentina à Saint-Jean-Cap-Ferrat, le Château de Saint Julien l'Ars, le Château de Cour-sur-Loire dans le Loir et Cher, le Château de Hémevez dans la Manche, le Château de Frémainville dans le Val d'Oise… Sans compter les églises restaurées ou carrément rebâties de pied en cap : à Vigny, Frémainville, Saint Julien l'Ars, Canne, Versailles…
Le prince et la princesse de Sant'Eusebio de nos jours.
Le Prince et la princesse ont su transmettre leur passion du patrimoine à leur trois enfants, si bien que la patiente et méticuleuse restauration entreprise depuis un quart de siècle est assurée de se poursuivre. Et l’on peut compter sur l’âme vénitienne pour offrir à la Villaumaire une éclatante renaissance.
Sources :
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Dizionario Storico-Portatile Di Tutte Le Venete Patrizie Famiglie [archive], G.Bettinelli, Venezia, 1780, page 158. [archive]
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Blasones de Italia, Armas de los cavalleros de Veneçia, 1601, Biblioteca Nacional de España, MSS/18257, page 106 [archive]
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Famiglie venete con le loro armi, XVII° s, Biblioteca estense universitaria di Modena, page 159.
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Famiglie venete con le loro armi, XVII° s, Biblioteca estense universitaria di Modena, IT 554, page 12b.
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Repertorio Genealogico delle Famiglie confermate nobili e dei titolati nobili esistenti nelle provincie Venete, Francesco Schröder, Venise, 1830, typografia Alvisopoli.
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Elenco dei Nobili e titolati delle Venete Provincie, Venezia, 1841.
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Annuario della Nobiltà Italiana, XXXI Edition, Vol. II, part. II, pages 2476 et 2477, SAGI
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Enciclopedia Storico Nobiliare Italiana, Vittorio Spreti, volume VI, S-Z, 1932. page 948
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Elenco ufficiale nobiliare italiano, Consulta araldica del Regno, Torino, Bocca 1922
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Livre d'Or de la Noblesse Ionienne, Tome III : Zante, par le prince Eugène Rizo Rangabé, Eleftheroudakis, Athènes 1927
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Libro d'Oro della Nobiltà Italiana, volume XXX, T2 (M-Z) - Page 874
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